Des entités humaines, mais fantomatiques, transparentes, errent dans une île irréelle. Ces terres démentes fait partie de ces romans si déroutants que l'esprit s'enfuit à chaque phrase. Il faut peiner à la lecture pour mériter enfin d'en percer le secret. Tout malmène le lecteur, sème le doute ; du jeu diabolique des personnages sibyllins au paysage proche des visions à la fois naïves et terrifiantes - ou simplement bizarres - de Caro et Jeunet. Pour preuve, une galerie de portraits (John Fraternité, DJ Cormoran, le Père Foultitude, Namsterdam, tous histrions ou baroudeurs) se dresse, effroyable, et nous confond en inquiétudes.
On parvient même, sans connaître les réelles difficultés du texte original, à admirer les prouesses probables de la traductrice Catherine Richard. Elle jongle avec la gouaille et la violence propres au style d'Alan Warner. Elle formule brillamment les trouées lumineuses d'une intimité que l'on finit parfois par partager avec les narrateurs successifs. La première héroïne, par exemple, trame son récit d'une typologie de sentiments forcément familiers : le sentiment "caramel mou", le sentiment "cheveux fins", "quand-on-pluche-sa-mandarine", "après-midi-d'octobre", etc. L'inintelligible se meut alors en une vague impression de connivence. Qui a dit que l'obscur était désagréable ?