La poule passa le seuil à la recherche de nourriture, ses plumes rousses éclairées par le soleil. Tendant le cou, à peine curieuse, elle pénétra dans la pièce, un coup de bec par ci, un coup de bec par là. Elle arriva près du Grand de chez Robyeu sans lui prêter attention puisqu'il était aussi immobile qu'une bûche. Le temps était trop long. Cette journée qu'il se préparait à traverser passerait, comme tant d'autres, sans laisser de trace : à quoi bon ces heures ajoutées aux heures ? Aussi vieux qu'il était, se sentant plein de sève, il aurait voulu bouger et ne le pouvait plus. Rien à faire, il n'avait plus trente ans et ce matin, plus que jamais, il ne s'y résolvait pas. Alors au coeur de ce printemps, il était habité par la mélancolie de son automne. Autant s'en aller ! Bien sûr on ne commande pas sa fin, mais quand le Bon Dieu se déciderait à venir le chercher, il le trouverait prêt.
Le vieil homme tisonna le feu dont le grondement croissant dévora les bûches. La flamme devint régulière, le cercle de lumière grandit, l'enveloppa de son halo. Le feu avivait la sarabande de tout ce qu'il aurait aimé faire en ce mois de mai 1898, où l'Auvergne avait repris sa robe de verdure : marcher d'un pas allègre, empoigner la fourche d'une main ferme, soulever le timon du char, en un mot revenir à ce temps d'avant que son corps, compagnon fragile, ne lui interdise plus de choses qu'il ne lui en permettait.
Dehors, le printemps batailleur, toujours long à s'imposer dans ces hautes contrées des Combrailles, avait définitivement laissé la place au printemps victorieux. Le soleil montait chaque matin plus haut dans le ciel. Le vent d'ouest apportait avec lui on ne sait quoi de pur, de clair et de tonique. L'éclair argenté des truites fusait dans l'eau des ruisseaux où se miraient les saules et les sureaux parés de leurs nouveaux habits verts. Les oiseaux, pris par l'excitation des amours et l'affairement de la nidation, pépiaient, chantaient, jacassaient.