RANSOM HILL ÉTAIT TOMBÉ ÉPERDUMENT AMOUREUX de sa propre femme. Si le moindre doute à ce sujet avait subsisté en lui, il se dissipa à Myrtle Beach quand il arriva à l'aéroport où Claire l'attendait avec les enfants. Grand et mince comme il ne l'avait plus été depuis le lycée, Ran portait son beau manteau noir qui empestait encore la cigarette, bien qu'il eût arrêté de fumer en prévision de ce voyage (le premier de nombreux sacrifices qu'il était prêt à consentir). Son jean avachi était retenu par une ceinture concho dans laquelle il avait récemment dû percer trois trous supplémentaires, et la semelle décollée d'une de ses bottes Tony Lama claquait à chacun de ses pas. En revanche, son Stetson -son tout nouveau Stetson blanc à trois cents dollars qu'il avait eu le sentiment d'avoir mérité dès le premier regard - était aussi éclatant, aussi serein, aussi imposant qu'un cumulus de fin d'été. Il abritait, sous de mémorables yeux bleus, deux cernes comme tracés au charbon, ceux que le père Fouettard réserve aux rock stars déchues et autres pécheurs invétérés, qui tranchaient sur son éternelle pâleur de New-Yorkais. Comme toujours, Ran trimbalait deux guitares, celles que Claire appelait "les soeurs Gibson" ou bien "la maîtresse et la régulière". Les traits de son visage fatigué mais encore séduisant semblaient épurés par ses souffrances récentes, dont lui seul, et Dieu peut-être, pouvait être tenu pour responsable. Quand il déboucha en haut de la passerelle, un peu essoufflé, avec cette semelle qui battait le sol, il ressemblait à un homme ayant récemment purgé une peine en enfer, et là-bas, au bout du tunnel, baignée d'une lumière paradisiaque, Claire l'attendait. Finalement, le paradis se trouvait en Caroline du Sud. Qui l'eût cru ?