Il faut prévenir le lecteur, ça ne démarre pas sur les chapeaux de roues et dans une ambiance quelque peu horripilante. Solange, actrice française de second rang mais à la plastique avantageuse, mène à Los Angeles une vie partagée entre tournages holywoodiens, cocktails mondains, piscines privées et juste ce qu'il faut de cocaïne. Tout cela est passablement snob, franchement superficiel et semble aussi ennuyeux à vivre qu'à lire. Mais sans doute faut-il voir là la volonté de la romancière de nous faire ainsi ressentir la vacuité d'une existence en attente, suspendue...Lors d'une soirée branchée Solange tombe raide dingue de Kouhouesso, magnifique acteur noir encore peu connu, de nationalité canadienne mais né au Cameroun. Dés lors le récit s'anime et le malaise s'installe car manifestement les deux amants ne sont pas au diapason. Solange ne vit plus que pour cette passion exacerbée, Kouhouesso a un grand projet en tête qui le mobilise totalement: il veut adapter au cinéma le roman de Conrad "Au cœur des ténèbres" dont l'action est située au Congo. Il déploie une énergie considérable pour réaliser ce projet un peu fou et finit par obtenir les financements et la participation de George Clooney et Vincent Cassel pour les deux rôles principaux. Solange obtient, non sans mal, le rôle féminin. La seconde partie du roman se déroule sur les lieux du tournage au Cameroun dans un monde moite, de prolifération végétale, de moustiques et autres insectes, un monde ou la magie est omniprésente tout autant que l'arnaque et les diarrhées. Tout cela est décrit sur un mode haletant, fiévreux. Solange souffre des conditions de tournage et de la désinvolture de Kouhouesso possédé par son œuvre. Finalement le film s'achève en même temps que l'histoire d'amour, Kouhouesso souhaitant tourner la page. Le roman touche à sa fin également, le temps d'une ultime et énorme muflerie à l'égard d'une Solange désabusée. Voilà pour l'histoire, en arrière-plan il y a évidemment la question raciale. Chez Kouhouesso l'obsession de l'origine se mêle à une sensibilité vive au racisme, un brin parano, dans une personnalité orgueilleuse et narcissique. Quand à Solange, qui s'interroge beaucoup sur sa liaison avec un noir, sans doute ne pouvait-elle briser la coquille vide de son quotidien doré que par cette passion au goût d'exotisme et de défi. Au fond Solange et Kouhouesso sont, chacun à leur manière, des individus hors-sol, Solange la basque déracinée qui s'étourdit faute de vraie intériorité, et Kouhouesso en quête de ses racines africaines et fermé aux autres. Dans ces conditions l'échec était programmé, l'amour pour réussir suppose un minimum d'ancrage en soi-même. J'ajoute qu'on peut aussi voir dans le récit de cette passion une interrogation sur les différences d'aspirations entre hommes et femmes (mais alors prenons garde aux stéréotypes). Ce roman est écrit avec talent et, une fois les premières pages passées, j'ai pleinement adhéré au fil de la narration. Reste que j'ai le sentiment que Marie Darrieussecq, écrivaine douée, a encore une belle marge de progression.