L'orage avait éclaté au moment où Toussaint Gabriel traversait l'Arve à la tombée du soir, laissant derrière lui le village de Bonneville, et, à présent, il pénétrait dans Ayze. La pluie, de même qu'un vent frais du nord-est, l'accompagnait depuis qu'il était descendu du car de La Roche-sur-Foron. Une méchante pluie d'automne, froide, et dont les grains s'enfonçaient dans ses épaules comme des clous de charpentier.
Son sac de cuir en bandoulière, il dépassa la mairie, l'église, puis, à la sortie du village, il obliqua dans une petite rue débouchant sur un chemin de terre dont l'entrée était précédée d'un mince panneau indicateur. Une ligne verte, épaisse, moussue, courait le long de la pancarte, telle une grosse chenille paresseuse. L'inscription était à demi effacée : «L. G.and. Co.be» La Grande Combe ! L'oncle Antoine n'avait toujours pas remplacé le panneau dont le bois, écorné aux angles, commençait à pourrir.
Rentrant la tête dans les épaules, Toussaint s'engagea sur le sentier. La pluie et le vent redoublaient et il dut lutter contre eux pendant une bonne vingtaine de minutes avant de parvenir sur le plateau où se dressait le vieux chalet dont la façade bleuie au sulfate de cuivre luisait faiblement.
Ses brodequins s'enfonçaient dans la terre imbibée, écrasant les cailloux qui, par temps sec, eussent crissé sous ses semelles. Longtemps pourtant, il avait imaginé qu'il reviendrait chez lui par une belle journée de soleil, l'une de ces journées où les montagnes émergent dès le petit matin d'une brume chaude et complice. Longtemps, il avait cru qu'il aurait envie de courir à perdre haleine à ce moment-là, de traverser ses vignes en tous sens, de s'allonger à même le sol, d'en respirer les parfums. Au lieu de cela, il progressait lentement, de ce même pas lourd que connaissent bien les guides lorsqu'ils peinent à la montée.